Un peu d’insistance est nécessaire, et une fois la machine lancée, j’éprouve en écrivant autant de facilité qu’en peignant et, chose singulière, j’ai moins besoin de revenir sur ce que j’ai fait.

C’est ainsi que Delacroix confie à son Journal, le 21 juillet 1850, son goût pour l’écriture. Très jeune, à peine âgé de seize ou dix-sept ans, il s’essaya à la création littéraire. Alfred, longue nouvelle romanesque, inspirée par l’univers des romans noirs anglais, en témoigne.

Les sources d’inspiration d’Alfred

Les séjours du jeune Delacroix chez ses cousins Bataille à l’abbaye de Valmont entre 1813 et 1817 lui ont sans doute inspiré la rédaction d’Alfred, récit médiéval de trahison et d’amours contrariées qui se déroule en Angleterre sous Guillaume le Conquérant. Delacroix avait peut-être lu le livre publié par l’abbé Prévost, Histoire de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d’Angleterre, publié en 1742.

L’histoire tragique d’Alfred

Alfred met en scène la tragique histoire d’un baron anglais à l’époque médiévale. Le riche Comte de Burtmann, croyant sa mort proche au combat contre les Français, s’engage, s’il guérit de sa blessure, à offrir à Dieu son seul fils et héritier, Alfred. Il est influencé par son chapelain, le perfide Harold qui veut éloigner le jeune homme. Le charmant Alfred aime Amélie, la fille du châtelain voisin, mais comprend, au retour de son père tant aimé, qu’il va devoir y renoncer. Dramatiques hésitations du baron, tortures intérieures du fils, mouvements d’espoirs se succèdent pour aboutir à la fin tragique du père et du fils lui-même.

Delacroix écrivain

Delacroix, jeune homme, dit avoir hésité entre une carrière d’homme de lettres ou de peintre. Que je voudrais être poète. Mais au moins, produis avec la peinture, s’exhorte-t-il dans son Journal le 11 mai 1824. Fervent épistolier, diariste, critique dʼart, voire romancier et poète dans sa jeunesse, Delacroix a manié autant la plume que le pinceau.

L’écriture, comme le dessin, lui permet de garder le fil de ses pensées, de les analyser. Le dialogue intérieur permis par l’écriture perdura jusqu’à la fin de la vie du grand artiste, qui, en écrivant, s’était donné pour modèles, Michel-Ange, le peintre poète, et Michel de Montaigne, l’essayiste, génial analyste de l’âme humaine.

Bibliographie

  • Dominique de Font-Réaulx, « Musée Delacroix. Nouvel accrochage, Portrait d’un peintre écrivain, » in Grande Galerie-Le Journal du Louvre, juin-juillet 2013, n°24.
  • Dominique de Font-Réaulx (dir.), Eugène Delacroix, écrivain, témoin de son temps-Ecrits choisis, Paris, Flammarion, 2014.
  • Dominique de Font-Réaulx, Servane Dargnies (édition), Eugène Delacroix, les Dangers de la cour, suivi d’ Alfred et de Victoria, Paris, Flammarion, 2018.