Le voyage d’Eugène Delacroix au Maroc apparaît comme un des événements majeurs de la vie du grand peintre. Seul grand voyage dans l’existence d’un peintre casanier, préférant les vertiges de l’imagination à l’ivresse de l’aventure, le périple marocain de Delacroix ne cesse de fasciner. Les émotions éprouvées par le peintre à son arrivée au Maroc furent d’autant plus fortes qu’elles firent écho à son propre imaginaire pictural et littéraire. Cette découverte fut ainsi, déjà, une remémoration.

« Je suis dans ce moment comme un homme qui rêve qui voit des choses qu’il craint de voir lui échapper. »

Delacroix craignit, quelques jours à peine après avoir débarqué à Tanger, de voir s’échapper les souvenirs des moments remarquables qu’il était, alors, en train de vivre. Les exquis dessins de ses carnets, rehaussés des couleurs vives de l’aquarelle, les notes prises, les lettres envoyées comme les objets rapportés, concouraient ainsi à assouvir le désir de conserver vivace la mémoire de son aventure du Maroc. Ils formèrent, ensuite, comme autant d’impressions tangibles de son grand voyage. La présence, discrète mais effective, des objets et des dessins au sein de ses différents ateliers, lui a offert la possibilité, les années passant le séparant de son séjour marocain, d’en élaborer une remémoration poétique où vérité matérielle et imagination se mêlèrent.

« Je n’ai commencé à faire quelque chose de passable, dans mon voyage d’Afrique, qu’au moment où j’ai oublié les petits détails pour ne me rappeler dans mes tableaux que le côté frappant et poétique ; jusque-là, j’étais poursuivi par l’amour de l’exactitude, que le plus grand nombre prend pour la vérité. »

Le programme inédit composé par Richard Dubelski, en lien avec la harpiste Delphine Benhamou, propose une traversée sensible de la mémoire du peintre qui fut, également, un écrivain accompli. L’écriture tint dans la vie et l’œuvre de Delacroix une place insigne. Il se rêva, comme Michel-Ange, peintre et poète, puis comme Montaigne, connaisseur honnête de la vie humaine. Ses écrits témoignent de sa qualité de prosateur comme de son habileté à formuler un dialogue intérieur, que la mémoire des faits comme celles des œuvres artistiques observées ou écoutées vint porter.

Le montage subtil d’extraits de lettres écrites au Maroc, de réflexions composées, plus de dix ans après son retour dans ses Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, de citations de son Journal, commencé en 1822, puis repris de 1847 jusqu’à sa mort en 1863, vient répondre à des séquences musicales du compositeur Bernard Cavanna, liant harpe et percussions. Au sein même du dernier atelier de Delacroix, lieu de création et de mémoire, parmi les œuvres du peintre et les objets rapportés du Maroc, ce spectacle offre ainsi la magie d’une expérience intime et singulière, associant à la peinture du grand artiste le rythme de la musique et des mots, auquel il fut si sensible.

Dominique de Font-Réaulx
Directrice du musée Eugène-Delacroix

Spectacle proposé par l’auditorium du musée du Louvre et le musée Eugène-Delacroix.