Jean Auguste Dominique Ingres et Eugène Delacroix symbolisent, peut-être malgré eux, un moment emblématique dans l’histoire de l’art de la première moitié du XIXe siècle, la bataille entre Néoclassicisme et Romantisme. En face à face : deux hommes, deux peintres qui ont marqué leur époque, deux styles très différents. Aujourd’hui, les deux établissements qui portent leurs noms, le musée national Eugène-Delacroix à Paris et le musée Ingres Bourdelle à Montauban, réinterrogent cette confrontation avec un angle original : celui de leurs objets d’artistes, familiers et quotidiens, utiles à leur création ou témoignages de leurs goûts personnels.

Partant de la rivalité réelle ou supposée entre Ingres et Delacroix, l’exposition explore les univers de ces peintres, dont sont présentés différents portraits, tantôt images d’apparat mises en scène pour glorifier chacun d’eux, tantôt caricatures illustrant leur affrontement. Plus loin, les objets intimes leur ayant appartenu (objets décoratifs ou souvenirs de voyage) joints aux objets de la création (palettes dont celle qu’aurait utilisée Ingres pour Le Bain turc, pinceaux, boites et meubles à peinture…) seront mis en regard avec des représentations d’ateliers ou encore des tableaux représentatifs de l’art d’Ingres ou de Delacroix, dessinant ainsi un portrait chinois de chacun de ces artistes. Seront également présentées médailles et décorations, illustrant l’importance de la reconnaissance officielle au XIXe siècle, ainsi que des documents révélant leurs goûts artistiques et leurs aspirations.

Tous ces objets nous parlent d’une autre manière de ces artistes, montrant leurs différences mais induisant également des rapprochements inattendus. Son violon est passé à la postérité mais on sait moins qu’Ingres aimait à s’entourer de moulages d’antiques ou de vases grecs et vouait un véritable culte à Raphaël. Delacroix avait conservé des objets (armes, céramiques de Fès, instruments de musique…) ramenés de son voyage au Maroc et aimait les bibelots animaliers, ornés de poissons ou de serpents. Etaient-ils voués au délassement et au souvenir ou bien peut-on les qualifier de sources d’inspiration ? Ingres comme Delacroix aimaient passionnément la musique et le mobilier en acajou de style Empire ne craignant pas de se conformer à un certain goût bourgeois assez éloigné des atmosphères que l’on imagine en pensant aux ateliers d’artistes décrits par Balzac dans son « Chef d’œuvre inconnu ».

Si ces objets figurent aujourd’hui dans les collections des deux musées monographiques d’Ingres et Delacroix, au-delà du fétichisme qu’il peut y avoir dans le fait de les collectionner et de les présenter, ils nous amènent à nous interroger sur les liens entre la vie de l’artiste et son œuvre. Ils nous permettent également d’entrer dans l’intimité et dans le processus créatif de deux des plus grands peintres du XIXe siècle français, en proposant une incarnation à portée de main, propre à permettre à chacun de se reconnaître en eux.

Cette exposition se déploiera successivement dans l’espace d’exposition temporaire du musée Ingres Bourdelle de Montauban, du 12 juillet au 10 novembre 2024.